Mali : Quels regards de la société sur les tatouages des jeunes ?

28 août 2023

Dans la culture africaine, le tatouage est une pratique ancestrale. Il était la plupart du temps lié à des rites d'initiation, pour marquer son appartenance à une communauté ou marquer le passage d'un statut à un autre. Cette pratique ancestrale était magnifiée par des scarifications. Aujourd’hui, les méthodes d’application, ainsi que la motivation de la jeunesse pour le tatouage, n’ont rien à avoir avec celles du temps de nos ancêtres.

Avec la mondialisation, le brassage des cultures, les progrès scientifiques et techniques ont favorisé la pratique du tatouage. Le tatouage avait un sens culturel, aujourd’hui la jeunesse voit en cette pratique l’expression de leur liberté et de leur personnalité. Entre la pratique culturelle et le phénomène de mode véhiculé par les réseaux sociaux ou encore la télévision, le sens des tatouages a beaucoup changé.

Au Mali, le tatouage servait traditionnellement à identifier qui l'on est

Selon Dr Hélène Mounkoro, sociologue et cheffe de section sociologie de l’école normale supérieure du Mali, le tatouage était avant tout une pratique qui définissait l’identité : « Le tatouage fait partie de nos pratiques culturelles depuis toujours. Il servait traditionnellement surtout à identifier qui l'on est. Cela faisait partie de l’identité même, dans le processus de socialisation. Cette identification est une l'une des premières choses que l'on fait ».

Aussi, poursuit-elle : « Dans le temps, on reconnaissait l’appartenance ethnique rien qu’en voyant les signes comme les deux traits (tatouage par scarification) sur la tempe. Souvent, cela peut être trois, et les nantis savent déjà qui porte deux traits ou trois traits et pour quelle raison. À cela s’ajoutent les scarifications sur le front ou encore les balafres. Les tatouages étaient appliqués lors des cérémonies traditionnelles et n’importe qui ne pouvait se faire tatouer. Les substances utilisées, tout cela était connu seulement des initiés. Toute cette pratique indiquait l’appartenance de la personne. Cela permettait de situer un individu par rapport à un groupe, une catégorie socioprofessionnelle, un sexe et une tranche d’âges ».

Porter un tatouage est-il mal vu dans la société malienne ?

Pour Dr Hélène Mounkoro : « les tatouages de nos jours dits modernes restent inconnus pour beaucoup de personnes jusqu’à présent. Ils ne savent pas ce que veut dire la majorité de ces tatouages. Ils ne savent pas comment cela se fait, dans quelle condition ou encore qui les fait ? Tout cela incite encore plus à la méfiance autour des tatouages actuels. La manière dont les tatouages modernes ont été introduits chez nous laisse à désirer. Autant le tatouage traditionnel apaise, et est connu, autant le tatouage moderne nous renvoie des images de l’extérieur qui ne sont pas très souvent positives ».

Avec la mondialisation, le brassage des cultures, les progrès scientifiques et techniques ont favorisé la pratique du tatouage. Le tatouage avait un sens culturel, aujourd’hui la jeunesse voit en cette pratique l’expression de leur liberté et de leur personnalité. Entre la pratique culturelle et le phénomène de mode véhiculé par les réseaux sociaux ou encore la télévision, le sens des tatouages a beaucoup changé
Dr Hélène Mounkoro, sociologue : "La manière dont les tatouages modernes ont été introduits chez nous laisse à désirer"

Malgré le risque d’être mal jugé, beaucoup de jeunes ne renoncent pas à leur envie de se tatouer. C'est le cas de Yann Wilfried : « je me ferai un tatouage si j’en ressens le besoin. Pour moi un tatouage n’est pas pour faire juste jolie sur le corps. Le tatouage est une forme d’expression, un leitmotiv pour rappeler quelque chose. C’est beaucoup plus qu’un effet de mode ou encore uniquement de l’art. l’opinion ou le regard des autres n’a aucun impact sur moi. Je suis libre de faire ce qui me fait plaisir sur mon corps dans la mesure où je ne porte pas atteinte à une autre personne. Je sais qui je suis, où je vais et cela est suffisant. Il faut respecter le savoir-faire des tatoueurs et donner de la valeur à leurs œuvres ».

Si les tatouages actuels ont beaucoup de mal à se voir inclure dans la culture, la dimension religieuse ne l’accepte pas non plus. Dr Mounkoro trouve que cela à une explication par le fait : « qu’il est jusqu’à présent très difficile pour la majorité des personnes de dissocier culture et religion. La limite est tellement fine qu’il devient difficile de faire la part des choses. La religion en général renforce la culture, ce qui explique que cette religion, faisant partie également de société, lutte pour la protection des normes, principes et mœurs. Elle ne peut pas être pour l’introduction des tatouages, puisque la majorité de ces tatouages renvoie à une vie, à une dimension que nous ne maitrisons pas. En plus de cela, il y a dans toutes les religions une dimension de respect du corps. On ne peut donc pas mettre n’importe quoi sur son corps et cela ne concerne pas que le tatouage ».

Tatoueur, dans la discrétion

« Au Mali, le marché du tatouage n’est pas facile. Il faut être un guerrier pour continuer dans le domaine. Ce n’est pas tous les jours que j’ai un client à tatouer, vu la mentalité de la majorité de la population. En plus, les contraintes au niveau de la religion font que beaucoup de jeunes n’arrivent pas à sauter le pas. Il y a beaucoup de préjugés, notamment que les tatouages seraient maudits par la religion. Beaucoup de personnes qui viennent ici sont attirées par les tatouages, mais ils ont peur du regard que porte la société sur cet art. Le tatouage est également un atout de beauté, en plus d’être un art, ou une façon de s’exprimer », explique Christian Mackel Bayala, artiste tatoueur.

La pratique du tatouage (traditionnel et moderne) a été mise en cause sur le plan de la santé. Cette pratique devient tellement populaire que l’aspect santé pourrait en pâtir. C’est ce qu’explique Dr Guindo Binta, dermatologue à l'hôpital de dermatologie de Bamako : « après l'application du tatouage, on peut noter des cas d’effets secondaires comme des réactions inflammatoires, la douleur au site tatoué, des risques de surinfections bactériennes. Certains patients peuvent développer des complications allergiques.  Pour les jeunes qui veulent se faire tatouer, il faut éviter les tatouages impulsifs qui peuvent être source de regret ».

Au regard de toutes ces informations, il convient de rester vigilant et conscient des risques encourus. Pour celui ou celle qui souhaite se faire tatouer, il faut prendre le temps de réfléchir, de s’informer afin de le faire dans les meilleures conditions.

Bintou DIABATÉ