Lutte contre le VIH/ SIDA au Burkina : il faut sauver le « projet transition » !
Avec un taux de 0,6%, le Burkina Faso est l’un des pays en Afrique où la prévalence du VIH/ SIDA est des plus faibles. Toutefois, le Réseau national pour une plus grande implication des personnes infectées et affectées par le VIH/SIDA dans la lutte contre VIH/SIDA au Burkina Faso (REGIPIV – BF) invite la population et les décideurs à ne pas baisser la garde. Il estime que l’infection à VIH constitue toujours une maladie endémique en Afrique subsaharienne et en particulier au Burkina Faso. Pour lutter efficacement contre cette maladie chez les jeunes, un projet dit projet de transition a été mis en place par le REGIPIV – BF au profit de 160 jeunes. Malheureusement ce projet n’ira pas à son terme. Pourquoi ? Quelles sont les conséquences de l’arrêt brusque de ce projet pour les jeunes bénéficiaires ? Pour en savoir davantage, nous avons tendu notre micro, à Bobo-Dioulasso, à Dr Arthur Sawadogo, médecin au REGIPIV – BF.
Radio Jeunesse Sahel (RJS) : Dr, pouvez-vous nous en dire plus sur le projet transition ?
Dr Arthur Sawadogo : Avant les années 2000, quand un enfant naissait avec le VIH, c'est comme s’il était né avec un certificat de décès parce qu’on ne savait pas comment on allait faire pour le suivre. On ne savait pas ce qu'on allait faire pour ce jeune-là parce que pour les soignants il était condamné par une maladie incurable dont on n'avait pas de traitement à l'époque. Puis viennent par la suite les ARV qui nous ont donné quand même un peu d'espoir. Alors ces jeunes qui sont nés dans les années 2000 et avant et qui étaient suivis entre temps en pédiatrie ont grandi. Ils ont des besoins que ceux de la pédiatrie n'arrivent plus à couvrir. Il va falloir qu'ils aillent sur le site adulte de prise en charge pour poursuivre le traitement.
Et dans la prise en charge du VIH, il n'y a pas de protocole qui définit cette transition. Juste un transfert de dossier sur le site adulte pour poursuivre le traitement sans vraiment une réelle préparation et cette façon de faire a des conséquences. Par exemple un jeune qui est suivi à l’hôpital Pédiatrie Charles de Gaulle, qui ne connaît que cet hôpital et à un moment donné, on lui dit, tu es devenu grand, tu dois aller te faire prendre en charge à l’hôpital Bogodogo avec sa fiche de transfert. Et si les médecins qui sont sur place n’ont pas le temps pour lui comme en Pédiatrie où il est chouchouté il aurait tendance à ne plus repartir sur le nouveau site de prise en charge. Ou il aura tendance à revenir en pédiatrie avec le sentiment d’être rejeté sur le nouveau site. Il peut même ne plus poursuivre son traitement. Il y a une perte de vue, des échecs de traitements, etc. d'où l'écriture du projet transition qui vise à préparer les jeunes pour la transition, à impliquer les médecins de la pédiatrie et les médecins du site adulte, à recruter des jeunes paires éducateurs, c'est-à-dire des jeunes qui sont des modèles, qui sont suivis sur le site adulte pour accompagner à leur tour d’autres jeunes sur leur nouveau site de suivi.
RJS : Quelle est la durée du projet transition et où est-il mis en œuvre ?
Dr Arthur Sawadogo : C’est un projet pilote qui est mis en œuvre au Burkina Faso (Ouagadougou) spécifiquement et les sites de mise en œuvre sont le CHU Yalgado Ouédraogo, le CHU Charles de Gaulle, le CHU de Bogodogo, les CEMA de Pisssy et de Kossodo. Et c'est 160 jeunes qui sont concernés.
RJS : Le projet sera suspendu en fin décembre 2023. Quelles en sont les raisons ?
Dr Arthur Sawadogo : Le projet ne vise pas seulement à faire transiter les ados et jeunes infectés par le VIH. Il n’y a pas seulement que ce volet clinique, il y a deux autres volets qui sont quand même importants. Il s’agit du volet communautaire et le volet recherche. En ce qui concerne le volet communautaire, on constate que dans l'environnement communautaire, il n’y a pratiquement pas d'associations de jeunes qui œuvrent dans la lutte contre le VIH. Donc on voudrait qu'à travers ce projet, des jeunes puissent se mettre en association pour vraiment porter leur plaidoyer. Toujours sur le volet communautaire, il faut dire également qu'au cours de ce projet, des jeunes ont été appuyés dans la formation.
Le volet recherche va vraiment documenter et appuyer les interventions qu'on aura à faire.
Le projet devrait aller jusqu'en mai 2024. Il est financé par Expertise France et SIDA Action qui, ont suspendu le projet. Et on a eu un appui d'une autre institution qui va jusqu'en décembre 2023 et après décembre 2023 le projet va s'arrêter. C'est l'occasion pour moi de lancer un appel aux différents bailleurs de fonds, aux partenaires financiers. S'ils peuvent vraiment reprendre ce projet pour le mener à terme parce que c'est un projet très important qui permettra d’avoir une référence pour vulgariser afin que les jeunes, tous les jeunes qui sont dans les différentes provinces ou en Afrique de l'Ouest ou partout ailleurs, qu'on puisse s'inspirer de ce modèle de transition.
RJS : Quel est le bilan que vous pouvez dresser à ce stade ?
Dr Arthur Sawadogo : On appuie les jeunes pour les formations pour leur autonomisation. Mais aussi, il y a beaucoup de produits en pédiatrie que ces jeunes ne payent pas. Ils ne payent pas des frais pour certaines ordonnances. Donc quand ils quittent la pédiatrie, il va falloir qu'on les appuie pour qu'ils soient autonomes. Il va falloir qu'on puisse les aider. Tout au long de ce projet, des jeunes ont bénéficié de fonds pour mener certaines activités comme la couture et la menuiserie. D’autres ont bénéficié de fonds également pour payer des machines à coudre, d'autres c'est l'appui même au paiement de la scolarité. Certains ont été inscrits dans les centres de formation.
Par contre sur le site adulte, tout n'est pas gratuit. Donc à travers ce projet, on appuie ces jeunes. Par exemple un jeune qui est malade et qui a besoin de soins, même si la maladie n'a pas de lien avec son statut sérologique il peut bénéficier d'un appui à hauteur de 80% pour la prise en charge.
Il y a également un volet très important, l'appui psychique à travers les paires éducateurs qui sont dans le projet, qui sont des jeunes qui ont suivi cette transition et qui ont une expérience à partager. Ces jeunes sont des modèles qui encadrent ceux qui sont en transition. Ils sont en contact très étroit avec eux et font remonter l'information sur les difficultés rencontrées.
Mon cri de cœur, c'est que ce projet ne s'arrête pas en décembre. Il faut qu'on aille dans un financement endogène. On a beaucoup de banques et d'institutions au Burkina qui peuvent appuyer ce genre de projet. Donc s’il y a une bonne volonté, une banque, des partenaires financiers qui m'entendent, qui peuvent appuyer ce projet jusqu'à son terme ça va être très bien et les conclusions de ce projet vont vraiment permettre à ce qu'on ait un dispositif innovant de transition dans les soins.
Le projet a été financé à hauteur d'un demi-million d'euros environ. Mais ce qui reste pour terminer cette transition, avec un budget de 28 000 000 de FCFA suffirait.
Interview réalisée par Masbé NDENGAR de Bodo